Au son d’une basse et d’une batterie, elle arpente la scène en formulant une hypothèse. Elle a bien le droit de se demander ce que serait sa vie si elle était différente, radicalement différente. Pas seulement si elle changeait de métier, d’hémisphère, de genre, mais ce qu’elle deviendrait si elle était un jeune chevreuil. Quels bénéfices pourrait-elle en tirer ? De quoi serait-elle enfin libérée ? Que pourrait-elle faire qui aujourd’hui lui semble impossible, incongru, absurde ? Qu’est-ce que cela révèle finalement de sa vie, de nos vies, leurs petites servitudes ou autres compromis ? Une question essentielle et jubilatoire pour ceux qui tentent d’échapper, entre autres, à l’éco-anxiété qui nous guette.

A partir du texte Devenir chevreuil de Tony Durand, rédigé en confinement, qui tente de considérer « les avantages que comporte la vie d’un jeune chevreuil et la joie qu’il doit y avoir à croquer ces couleurs », Gaelle Le Courtois et Thomas Adam-Garnung inventent, avec leurs complices David Mirandon et Grégory Martin, une fantaisie théâtrale en faveur de l’étonnement retrouvé face à la nature.

« Dans la nomenclature du vivant, le chevreuil se trouve à l’intersection de la chèvre et de la feuille. Comme le chèvrefeuille, en somme, mais en nettement plus concis. » Tony Durand

Note d’intention :

Devenir chevreuil, c’est d’abord un texte. Rédigé lors du premier confinement de 2020, alors même que la France est à l’arrêt, il ne se présente pas comme un récit mais comme une hypothèse qui permettrait d’interroger notre condition. En imaginant être un autre, Tony Durand révèle ce qui s’impose à nous dans nos vies : le rapport à la propriété, aux obligations sociales, au travail… En passant par l’absurde, il révèle le superflu et l’arbitraire. Plutôt qu’un désir d’être un autre, il fait état d’une prise de conscience face à l’aliénation. Sous une forme littéraire, poétique. Un verbe difficile à mettre en bouche.

C’est justement ce qui a motivé l’envie d’en faire une matière théâtrale : parce que la langue résiste, parce qu’il n’y a pas d’intrigue, parce que tout cela est un peu fou. Une étrangeté qui est le propre de l’art dramatique.

Au plateau, une actrice qui énonce l’hypothèse, l’évalue, la travaille, lui donne corps. On assiste à une métamorphose qui échoue.

Elle entre avec des couvertures de survie qui peuvent bien entendu rappeler les circonstances mêmes d’écriture du texte alors que nous luttions pour notre survie, qui fait aussi référence à une collision sur autoroute entre une voiture et un cervidé comme il en arrive si souvent en traversant les territoires boisés. Cette couverture peut donner une clef de lecture, nous dire d’où émane cette voix. Surtout cette matière dorée argentée est propice aux métamorphoses, prenant facilement la forme qu’on lui donne, modifiant la lumière, renvoyant aux lustres du théâtre.

Il y aura aussi l’irruption de chaises, d’une boite à outils, d’un escabeau, autant d’éléments que le texte convoque.

Parce qu’il s’agit d’une litanie (« si j’étais un jeune chevreuil » est répété et répété et répété), il nous a semblé à propos de faire appel à des musiciens : un percussionniste pour le rythme, un bassiste pour l’ébauche d’une mélodie. Et ces deux-là permettent de manifester la représentation théâtrale : ils font spectacle par divers bruitages, concert pourrait-on dire quand ils se mettent à jouer Knockin On Heaven’s Door de Bob Dylan, l’homme à l’indémodable veste en daim.

Leurs présences sont un appui de jeu indispensable à la démonstration qui opère au plateau.

Dans le fond de scène, des images vidéo permettent une évocation de la nature, une nature projetée.

Tout cela n’est peut-être qu’un accident après tout. Encore une hypothèse.

Thomas Adam-Garnung

Tout public

texte Tony Durand • mise en scène Thomas Adam-Garnung • interprété par Gaëlle Le Courtois • avec Grégory Martin (basse) et David Mirandon (batterie) •  soutien Conservatoire à Rayonnement Départemental d’Argenteuil

Au Théâtre Maurice Sochon

Rue Yves Farges, 95100 Argenteuil

 

DATES ET HORAIRES

15 mars 2025 à 20:00

Entrée libre