Wonderland
Sylvain Huc
Une petite merveille
On ne présente pas Kader Belarbi, directeur de la Danse du Ballet du Capitole de Toulouse, Chorégraphe Danseur Etoile de l’Opéra national de Paris, danseur émérite qui aura travaillé avec les plus grands, qui se sera essayé à toutes les danses sans aucun a priori, juste la volonté d’aborder d’autres rivages sans se soucier des frontières. Et le voilà qui lance sa fondation, « pour élever les rêves de danse », selon 3 axes : celui de l’accessibilité à son oeuvre, de la diffusion à l’archive ; celui de l’innovation en songeant très fortement à ce que le numérique peut offrir ; et celui de la production afin de favoriser l’émergence de chorégraphes mais aussi la
Mais quel bonheur ! Quel bonheur de voir enfin une pièce jeune public qui ne prend pas les enfants pour des idiots, pour des spectateurs au rabais. On en est presque à se demander s’il ne faudrait pas conseiller Wonderland aux adultes. Allez franchissons le pas. Cette pièce est véritablement pour tout le monde. Elle prend comme prétexte le pays des merveilles, un pays qui n’a rien de merveilleux on le sait, mais qui peut bien être tout aussi déroutant que cruel et sauvage, enchanté et cauchemardesque. Un pays tout à fait en adéquation avec celui de l’enfance. Mais le nôtre, celui des adultes, n’est pas plus reluisant. Au moins celui-là à des côtés parfois chatoyants, oniriques et tout y est possible puisqu’y règne le désir.
Au plateau deux danseuses, d’une rigueur implacable, sérieuses comme peut l’être un môme lorsqu’il joue la comédie, totalement investies, presque en transe, en tout cas transfigurées et pas seulement par les maquillages qu’elles arborent. Et plutôt que de retranscrire l’histoire de Lewis Carroll, Sylvain Huc décide de provoquer une succession de flash : la lumière change brutalement, prend forme sur les murs du cube où les interprètes sont à la fois comme prisonnières et totalement libres, le son va de pair, sourd, comme dans une grotte, et c’est pour nous le moment d’une apparition, parfois fugace, un geste, une posture, un mouvement, une énergie, ça se succède en tableaux, comme si on mangeait avec Alice de ces champignons qui font soudain grandir, qui font soudain rapetisser et que sais-je encore ?
Tout ici est énigmatique. Mais pourquoi donc chercher du sens dans la folle logique de Lewis Carroll ? Pourquoi Sylvain Huc se serait-il embêté à tenter de traduire rationnellement ce qui justement reste mystérieux, silencieux. Sa pièce préserve ainsi une capacité à évoquer sans borne. C’est non seulement esthétique, mais aussi effrayant, malicieux, fin surtout. Car parfois on ne discerne pas les formes, parfois on se demande par où elles sont passées, parfois on voudrait les rejoindre pour danser avec elles. Sylvain Huc semble s’être inspiré des dernières recherches en neurosciences pour titiller notre imagination. Il avoue s’être appuyé sur les oeuvres de James Turrell et Olafur Eliasson. C’est terriblement plastique et réussi.
Alors oui, sûrement le format 45 minutes est adapté au jeune public, sûrement aussi que cette absence de narration qui lorsqu’on est parent, on le sait, n’est clairement pas un problème pour les enfants, tant ils nous demandent de relire toujours la même page d’un livre, donnant plus d’importance aux liens qui se tissent, à la relation qui se crée plutôt qu’à l’histoire et au logos, rebutera quelques adultes en mal de compréhension, inquiets de ce silence pesant, affolés par ces images où se mêlent douceur et cruauté, froids face à l’abstraction. Mais retrouvons la force de nos rêves, libérons nous de la dictature de la logique, de la rationalité. C’est bien ça que souhaitait Lewis Carroll et c’est ça que Sylvain Huc obtient avec cette pièce, un retour à la liberté enfantine qu’on ne devrait pas laisser à nos progénitures.
Thomas Adam-Garnung