d'un matin de printemps
Emilio Calcagno
presque un sacre
La question du ballet, de l’existence du ballet, de son évolution donc, voire même de sa survie est de plus en plus prégnante. Depuis longtemps déjà, il n’y a plus dans les salles que des spectateurs chenus et on se demande continuellement comment renouveler le public, quelle action culturelle de grande ampleur pourra ramener, sur les fauteuils de velours rouges, une jeunesse trépidante, avide de nouveautés et de transgressions. La réponse vient parfois de la nomination, à la tête d’une institution, d’un trio d’artistes contemporains et/ou chorégraphes, repérés par une fondation privée, capables de produire des performances détonnantes qu’on programmerait volontiers lors d’une nuit blanche parisienne, à coup de sponsors bling bling, sans se soucier des compétences sûrement inhérentes aux interprètes, performances déclinées en plusieurs formats, comme toutes les oeuvres soumises aux lois du marché de l’art et qui s’adaptent, ainsi, aux moyens des acheteurs potentiels. Loin de nous l’idée de fustiger cette stratégie. Elle fonctionne et en ce sens, elle est salvatrice.
Cela n’a pas été le choix du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, illustre maison confrontée aux mêmes questionnements que ses rivaux sans en avoir les moyens. Il a choisi de s’appuyer sur l’excellence de ses danseurs dont les corps ont été traversés par les plus grands chorégraphes, venus là non pas pour recréer une pièce de leur répertoire mais, le plus souvent, pour inventer avec eux une nouvelle forme, une nouvelle oeuvre. Emilio Calcagno, nommé ici il y a un an, signe pour eux sa deuxième pièce et c’est un florilège des prouesses dont ils sont capables : une succession de tableaux où, avec bonheur, ils s’emparent, ensemble, de la scène, y exposant une palette chorégraphique dont la richesse ne peut qu’émerveiller. Néoclassique bien sûr mais aussi contemporain, tango, Krump… tout y passe, mené tambours battants avec l’énergie et la rigueur d’une compétition de danse sportive, l’âme et l’humour en plus. Les costumes sont fabuleux, les lumières impeccables, surtout c’est magnifiquement interprété, même si on ne sait pas bien ce que cela raconte. En tout les cas cela évoque quelque chose. Comme une partie de chasse dont on ignorerait qui est la proie. Peut-être nous. Ce public neuf qu’il faudrait capter si ce n’est capturer. Mission réussie.
Mention spéciale à la musique : le spectacle ne succombe pas à la facilité d’inviter sur scène un DJ pour rajeunir à peu de frais son auditoire et fait appel à un trio, l’Ensemble Ouest en chair et en os, qui revisite avec brio Satie, Debussy, Messiaen… partitions pas si évidentes qui sont retravaillées pour l’occasion et permettent à la proposition de s’envoler au-delà d’un contemporain qui ne serait que de façade.
Thomas Adam-Garnung