D'après nature
La Tierce
En aveugle
La Tierce, c’est un peu un ovni dans le paysage de la danse contemporaine française. Un ovni parce qu’ils font quelque chose que l’on voit trop peu sur nos plateaux : une danse qui n’essaie pas de démontrer que l’interprète est capable de faire un geste mais qui tente plutôt de justifier ce geste, qu’il s’appuie sur une absence dont il révèle la trace, la présence perdue.
D’après nature, leur nouvelle création, ne déroge pas à la règle. Et c’est par ce travail subtil sur le « en-creux » qu’ils arrivent à susciter des émotions et à entremêler les niveaux de significations. On pourrait croire qu’il va s’agir, avec ce titre, de dessin, de fidélité, de simplicité… fausses pistes. Il faut plutôt y lire la question « que reste-t-il après la nature, sa disparition ? ». Comme un après le déluge.
Les lumières hallucinées, cinématographiques de Serge Damon laissent apparaître un plateau mouvant tantôt banquise, tantôt comme couvert des cendres d’un volcan, sujet aux variations du jour. Et les multiples parpaings, qui délimitent la scène ou l’informent, sont comme des éléments d’architecture, des monolithes blancs, négatifs de celui de Kubrick, des ruines. Ils semblent annoncer une apocalypse. On guette l’effondrement. Et tout ici est infiniment périlleux et précaire. Cette danse en aveugle déjà, limpide, souple, calme et sereine alors que les interprètes ont les yeux clos par des lacets. Ces moments suspendues aussi, où rien ne semble se passer, au risque de perdre notre attention. Ce prologue surtout : morceau de musique joué à cinq mains sur des claviers à l’envers. Car cette pièce est un retournement. Pour reconquérir Eurydice, Orphée ne doit pas se retourner. Pourtant ce faisant, la Tierce réussit un tour de force poétique et sensible sur l’état du monde aujourd’hui, preuve que peut-être il est bon de braver l’interdit.
Thomas Adam-Garnung