Mercures
Suzanne
"Rencontrons-nous !"
Il y a des festivals essentiels, qui donnent à voir des formes que justement on ne voit nulle part ailleurs et qui nourrissent ainsi la diversité de notre regard, des festivals qui, malgré les conditions imposées par la pandémie, décident de se maintenir au risque de mettre en péril leur équilibre financier déjà précaire. JERK OFF est de ceux-là et depuis 13 ans déjà. Cette année, il s’ouvre sur une proposition du groupe SUZANNE. SUZANNE, participe de cette nouvelle génération de collectifs qui ont bien compris que le modèle économique de la danse contemporaine en France est en train de changer : on ne peut plus créer en comptant sur une diffusion réduite à peau de chagrin dans les lieux consacrés à la danse, il faut se rapprocher de l’art contemporain, investir les galeries, les musées et les centres d’art, en adopter le discours, et multiplier sa présence sur les réseaux sociaux à coup de visuels et vidéo. En ce sens, il faudrait les comparer à (LA)HORDE et leur souhaiter le même destin.
SUZANNE a la particularité de travailler l’unisson, le ballet. C’était déjà le cas dans STATU, c’est encore le cas dans MERCURES. Cette forme qu’ils poussent jusqu’à l’épuisement, leur permet à partir de gestes simples de voir émerger des individualités au moment où des erreurs, des scories ne manquent pas d’advenir. Plutôt que de chercher l’excellence, la prouesse technique d’un mouvement, ils sont en quête d’une humanité qui sourit de ses manquements. Une humanité qui en appelle ici à la rencontre, alors même que la salle entière est masquée, alors même que chaque interprète semble respecter sur scène la distanciation sociale, adéquation parfaite du projet à notre quotidien. L’injonction « rencontrons-nous » scandée durant tout le spectacle se retrouve comme démembrée, lettre par lettre, geste par geste, corps isolés les uns des autres comme des monades leibniziennes, face à un public tapi dans l’ombre, tenu au silence par la convention théâtrale. Tour à tour militaire, mécanique, folklorique ou digne d’un cours de fitness, la danse se complexifie sans jamais parvenir à nous réunir. C’est ce qui pourrait décevoir. Comme un aveu d’échec, laissant un goût d’inachevé. Mais c’est peut-être bien parce que le travail reste à faire, hors plateau. SUZANNE a le mérite de poser des questions, pas forcément d’y répondre, et nous offre ainsi, en proposant des projets qui débordent dans nos vies, la possibilité de n’être pas qu’un spectateur consommateur.
Thomas Adam-Garnung
SUZANNE :
JERK OFF :